Biographie

La Vie d’Ésope

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Chapitre I: Le Lieu de sa Naissance

Il est arrivé à Homère, le prince des poètes grecs, que le lieu de sa naissance n’a jamais été connu avec certitude ; et il serait tout aussi difficile de déterminer le pays qui a donné naissance à Ésope, tant les anciens auteurs ont divergé à ce sujet. Certains l’ont pensé Lydien, né dans la ville de Sardes, la capitale de ce royaume ; d’autres ont cru qu’il tirait son origine de l’île de Samos. Certains ont soutenu qu’il était Thrace, de la ville de Mesembria ; mais les auteurs sont désormais, pour la plupart, d’accord pour dire qu’il était natif de Phrygie, soit d’Amorium, soit de Cotiæum, deux villes de la même province. Cependant, comme il est permis de conjecturer sur un point aussi douteux, j’imagine que ceux qui l’ont pensé Lydien ou Samien ont fondé leur opinion sur la probabilité qu’il soit né dans un de ces lieux où il a passé la plus grande partie de sa vie ; et il est certain que durant son esclavage, son habitation commune était dans l’île de Samos ; et après avoir été affranchi, il a vécu presque exclusivement à la cour de Crésus, roi de Lydie. Mais bien que cette opinion ne soit pas totalement dépourvue d’apparence plausible, la probabilité qu’il soit Phrygien, comme elle est fondée sur le consentement commun de nombreux anciens écrivains, et appuyée par l’autorité la plus crédible, est maintenant généralement reçue et établie.

Chapitre II: De Sa Personne, de Ses Talents et de Sa Disposition

Il est admis par tous qu’Ésope a été esclave dès sa jeunesse, et qu’en cette condition, il a servi plusieurs maîtres ; mais j’ignore d’où Planude tire son autorité pour affirmer qu’il était le plus déformé de tous les hommes vivants, ressemblant exactement au Thersite d’Homère ; je ne trouve aucun auteur ancien qui le décrive ainsi. Ce que Planude ajoute, que le mot Ésope signifie la même chose qu’Éthiopien, et lui a été donné en raison de la noirceur de son visage, peut également être très justement contesté ; car bien que certains grammairiens soient d’avis que du verbe ætho, qui signifie brûler, et du nom ops, qui signifie visage, le mot Ethiop peut être formé ; nous apprenons d’Eustathe qu’ætho (au futur æso) signifie briller, ainsi que brûler ; et qu’ops, avec un o long, signifie l’œil ; de sorte que le nom Ésope signifie un homme aux yeux étincelants. Je ne donne pas non plus beaucoup de crédit au même auteur, lorsqu’il dit qu’Ésope avait un tel défaut dans la langue qu’il pouvait à peine articuler des sons, car il semble lui avoir attribué cette imperfection seulement pour avoir un fondement à son compte fabuleux selon lequel la Fortune lui apparut en rêve et lui donna le don de la parole. Tout aussi dépourvue de probabilité est l’histoire qu’Apollonius raconte dans Philostrate ; que Mercure, ayant distribué aux autres la connaissance de toutes les sciences, n’avait plus rien pour Ésope sauf l’art de composer des fables, dont il l’a doté. Mais une raison principale qui m’empêche d’assentir à ce que Planude avance est qu’elle ne peut être soutenue par aucune autorité d’un ancien auteur ; au contraire, il est affirmé dans un fragment grec de sa vie, trouvé dans les œuvres d’Aphthonius, qu’Ésope avait une excellente disposition et des talents pour tout ; et en particulier, une grande inclination et aptitude pour la musique, ce qui n’est pas très compatible avec le fait d’avoir une mauvaise voix et d’être muet.

Chapitre III: De Sa Condition et de Ses Études

Le premier maître d’Ésope, comme on peut le déduire de l’Aphthonius mentionné précédemment, était Zemarchus ou Demarchus, surnommé Caresias, natif et habitant d’Athènes ; et son passage à Athènes, la mère et nourrice de la science et de l’apprentissage poli, fut d’un grand avantage pour lui. Il est probable aussi que son maître, percevant en lui une bonne compréhension, des manières agréables, un génie vif et une capacité générale, et trouvant aussi qu’il le servait avec beaucoup d’affection et de fidélité ; il est probable, dis-je, qu’il ait pris soin de le faire instruire. C’est d’Athènes alors, comme de la source même, qu’il tira la pureté de la langue grecque. C’est là aussi qu’il acquit la connaissance de la philosophie morale, qui à l’époque était l’étude à la mode, car il y avait peu de personnes qui faisaient profession des sciences spéculatives, comme on peut le conclure des sept sages de la Grèce, les hommes les plus célèbres de cette époque, parmi lesquels Thalès de Milet seul avait la curiosité d’enquêter sur les secrets de la philosophie naturelle et les subtilités de l’apprentissage mathématique : les autres n’étaient pas réputés sages pour d’autres raisons que leur publication de certaines sentences graves et morales, dont ils établissaient la vérité et rendaient l’autorité par leur vie prudente et vertueuse.

Chapitre IV: De Ses Différents Maîtres et de Sa Compagne Esclave, la Célèbre Courtisane, Rhodopis

Reprenons maintenant le fil de notre narration. Au fil du temps, Ésope fut vendu à Xanthus, natif de l’île de Samos ; et après l’avoir servi pendant un certain temps, il fut de nouveau vendu au philosophe Idmon, ou Jadmon, qui était également de ce pays ; et avait en même temps pour esclave cette Rhodopis, qui devint ensuite si célèbre comme courtisane. Cette femme était dotée d’une beauté très extraordinaire, et, se retrouvant en Égypte, Charaxus, le frère de la poétesse Sappho, tomba si profondément amoureux d’elle qu’il vendit tout ce qu’il avait et se réduisit à une extrême pauvreté pour la racheter et la libérer. Elle monta ensuite si haut dans sa vocation, et amassa de telles quantités de richesses, qu’elle fit fabriquer de grands nombres de grandes broches de fer avec la dîme de ses gains, qu’elle envoya en offrande au temple d’Apollon à Delphes. Et si l’on en croit certains auteurs, elle accumula des trésors si immenses qu’ils lui permirent de construire l’une des célèbres pyramides d’Égypte. Ainsi donc, cette fameuse courtisane fut la compagne d’esclavage d’Ésope lorsqu’il vivait avec Jadmon ; pour montrer comment ces deux personnes, nées dans une condition servile, parvinrent par des méthodes très différentes à une fortune plus splendide ; l’un par son mérite et les beautés de son esprit, l’autre par le commerce infâme de ses charmes personnels.

Chapitre V: Son Ascension à la Cour de Crésus, Roi de Lydie, et Sa Rencontre avec les Sept Sages Là-Bas

Quoi qu’il puisse être de douteux dans la vie d’Ésope, il n’y a rien de plus certain que, après avoir récupéré sa liberté, il acquit bientôt une très grande réputation parmi les Grecs, étant tenu en presque aussi haute estime que n’importe lequel des sept sages qui prospéraient à cette époque, c’est-à-dire la cinquante-deuxième olympiade. La renommée de sa sagesse parvint aux oreilles de Crésus, ce monarque le fit venir à sa cour, l’admit dans son amitié et l’obligea tellement par ses faveurs qu’il s’engagea à son service jusqu’à la fin de ses jours. Son séjour à la cour de ce puissant roi le rendit plus poli que la plupart des autres philosophes de son temps ; plus complaisant envers les humeurs des princes, et plus réconcilié avec le gouvernement monarchique, ce dont il donna des preuves évidentes à diverses occasions. Par exemple, lorsque Crésus réussit à réunir les sept sages dans sa capitale, Sardes, après leur avoir montré la magnificence de sa cour et ses vastes richesses, il leur demanda, à qui ils pensaient être l’homme le plus heureux qu’ils aient connu ? Certains nommèrent une personne, d’autres une autre ; Solon, en particulier, donna cette louange à Tellus, un Athénien, et aussi à Cleobis et Biton, Argiens ; concluant que personne ne pouvait être prononcé heureux avant sa mort. Ésope, percevant que le roi n’était pas bien satisfait de leurs réponses, parla à son tour et dit : Pour ma part, je suis persuadé que Crésus a autant de prééminence en bonheur sur tous les autres hommes, que la mer a sur tous les fleuves. Le roi fut tellement ravi de ce jugement qu’il prononça avec enthousiasme cette sentence, qui est devenue depuis un proverbe courant : « Le Phrygien a touché juste. » Lorsque Solon prit congé de Crésus, qui le congédia très froidement, Ésope, désolé que Solon ait parlé au roi avec si peu de complaisance, lui dit, en l’accompagnant sur une partie du chemin : Ô Solon, nous ne devons pas parler aux rois, ou nous devons leur dire ce qui leur plaît. Au contraire, répondit Solon, nous devons soit ne pas parler aux rois du tout, soit leur donner des conseils bons et utiles.

Chapitre VI: Quelques Détails Isolés de Sa Vie et l’Improbabilité du Récit de Planude sur Ses Voyages en Égypte et à Babylone

Il n’y a pas beaucoup d’autres détails concernant Ésope dans les auteurs dignes de foi ; sauf qu’il rencontra de nouveau les sept sages de la Grèce, à la cour de Périandre, roi de Corinthe. Cependant, je n’ose affirmer si c’était ici, ou ailleurs, qu’en tombant dans une discussion avec Chilon, qui lui avait demandé ce que faisait Dieu, il répondit qu’il abaissait les choses élevées et élevait les choses humbles. Certains relatent aussi que, pour montrer combien la vie humaine est remplie de misères, et qu’un plaisir est accompagné de mille douleurs, Ésope avait l’habitude de dire que Prométhée, ayant pris de la terre pour former un homme, l’avait tempérée et humidifiée, non pas avec de l’eau, mais avec des larmes.

Je rejette comme pure invention tout ce que Planude écrit sur les voyages d’Ésope en Égypte et à Babylone, parce qu’il y mêle des histoires tout à fait incroyables et y ajoute certaines circonstances qui sont contraires à la vérité historique ou qui renversent complètement l’ordre du temps. Je me contenterai d’alléguer deux faussetés flagrantes sur lesquelles il fonde toute sa narration. Il dit que le roi qui régnait à Babylone lorsque Ésope s’y rendit, s’appelait Lycerus. Mais qui a jamais lu ou entendu parler d’un tel roi ? Que l’on examine le catalogue de tous les rois de Babylone, de Nabonassar à Alexandre le Grand, on ne trouvera aucun dont le nom ressemble à Lycerus. En revanche, la chronologie la plus exacte montrera qu’à l’époque d’Ésope, il ne pouvait y avoir d’autre roi à Babylone que Nabuchodonosor et son père Nabopolassar ; puisque Nabopolassar régna vingt-et-un ans, et Nabuchodonosor quarante-trois ans, mourant la même année qu’Ésope, soit la première de la cinquante-quatrième olympiade. Il n’est pas plus croyable qu’Ésope se soit rendu en Égypte sous le règne du roi Nectanébo, comme l’affirme Planude, car ce roi ne commença à régner que deux cents ans après la mort d’Ésope : c’est-à-dire à la cent quatrième olympiade. Et il n’est pas nécessaire d’être très instruit en chronologie pour être certain qu’Ésope a vécu en partie sous le règne d’Apriès, et en partie sous celui de son successeur Amasis, rois d’Égypte.

Chapitre VII: De Sa Mort

Ce que Planude relate sur la mort d’Ésope s’approche plus de la vérité que tout ce qu’il a écrit sur sa vie. Cependant, il est encore plus sûr de se fier à ce que les anciens auteurs ont dit à ce sujet, et ils le rapportent ainsi. Ésope, envoyé par Crésus à la ville de Delphes avec une grande somme d’or pour offrir des sacrifices magnifiques à Apollon et distribuer à chaque citoyen quatre mines d’argent ; il arriva que des différends surgissent entre lui et les citoyens à un tel degré qu’il parla d’eux en termes très provocateurs. Parmi d’autres choses, il les reprocha de n’avoir presque aucune terre arable, et que sans la grande affluence d’étrangers et les fréquents sacrifices offerts dans leur temple, ils seraient bientôt réduits à mourir de faim. Non content de les offenser par des paroles, il passa aux actes ; après avoir accompli les sacrifices comme Crésus l’avait ordonné, il renvoya le reste de l’argent à la ville de Sardes, jugeant les Delphiens indignes de la libéralité du roi. Cela les irrita à tel point qu’ils consultèrent sur la manière de se venger de lui et conspirèrent par une infamie notoire pour lui ôter la vie. Ils cachèrent parmi ses bagages un des vases d’or consacrés à Apollon ; et comme Ésope se dirigeait vers la Phocide, ils envoyèrent immédiatement des messagers après lui, qui, fouillant ses bagages, trouvèrent le vase qu’ils y avaient eux-mêmes déposé. Sur ce, ils le traînèrent aussitôt en prison, l’accusèrent de sacrilège et le condamnèrent à être précipité du rocher Hyampia, ce qui était la punition infligée couramment aux personnes sacrilèges. Alors qu’ils étaient sur le point de le jeter, pour les dissuader d’un acte aussi exécrable par l’appréhension de la justice divine, qui ne laisse aucune méchanceté impunie, il leur raconta la fable de l’aigle et du scarabée. Mais les Delphiens, ne prêtant aucune attention à sa fable, le poussèrent du précipice. Il est rapporté cependant que leur terre devint stérile et qu’ils furent affligés de nombreuses maladies étranges pendant plusieurs années après. Dans cette détresse, ils consultèrent l’oracle et reçurent la réponse que toutes leurs misères étaient dues à la condamnation injuste et à la mort d’Ésope. Sur ce, ils firent proclamer par le son de la trompette, à toutes les fêtes publiques et réunions générales des Grecs, que si un des parents d’Ésope voulait demander réparation pour sa mort, il était prié de venir et de l’exiger de la manière qu’il voudrait. Mais personne ne se présenta jusqu’à la troisième génération ; lorsqu’un Samien se présenta, nommé Jadmon, petit-fils de ce Jadmon, qui avait été maître d’Ésope dans l’île de Samos ; et les Delphiens, lui ayant fait une certaine satisfaction, furent délivrés de leurs calamités. Il est dit qu’après ce temps, ils transférèrent la punition des personnes sacrilèges du rocher Hyampia à celui de Nauplia. De là, il apparaît, comme je l’ai indiqué plus haut, que l’opinion d’Hérodote et de Plutarque est que Jadmon fut le dernier maître d’Ésope et celui qui l’a affranchi, car sinon, ni lui ni aucun de ses descendants n’aurait pu avoir intérêt à sa mort ni le droit de demander réparation ou de recevoir satisfaction.

Chapitre VIII: Les Honneurs Qui Lui Furent Rendus Après Sa Mort

Et maintenant, j’accepte volontiers avec Planude qu’Ésope fut regretté par les plus grands et les plus sages hommes de la Grèce, qui témoignèrent aux Delphiens combien ils regrettaient sa mort. Mais j’ajoute que les Athéniens, en particulier, avaient tant d’honneur pour Ésope qu’ils lui érigèrent une magnifique statue dans leur ville ; prenant davantage en compte la grandeur de son mérite personnel que la bassesse de sa naissance et de sa condition. Je dis en outre que l’opinion générale qu’on avait de sa sagesse et de son intégrité encouragea les poètes à faire croire au peuple que les dieux l’avaient ressuscité, comme ils l’avaient fait pour Tyndare, Hercule, Glaucus et Hippolyte. Certains n’ont pas hésité à affirmer qu’il vécut de nombreuses années après sa résurrection et combattit deux fois du côté des Grecs contre les Perses dans les Thermopyles, ce qui doit avoir été plus de quatre-vingts ans après sa mort. Mais ce sont de telles absurdités manifestes qu’elles se réfutent elles-mêmes. Il est tout aussi peu probable, comme certains l’ont affirmé, qu’il ait écrit deux livres sur ce qui lui est arrivé dans la ville de Delphes, à moins qu’on suppose qu’il y ait fait deux voyages et qu’il ait écrit sur le premier : car dans le dernier, il est très improbable qu’il ait eu du temps pour une telle œuvre ; cela ne peut non plus être fondé sur le témoignage d’un auteur digne de foi. Il est en effet le plus probable qu’il n’ait rien laissé d’écrit à part ses fables, qui, soit par l’élégance de la narration, soit par l’utilité de leur moralité, ont toujours été si hautement estimées que beaucoup d’entre elles sont restées dans la mémoire des hommes pendant plus de deux mille ans. Pourtant, je n’affirme pas que celles que Planude a publiées sont les véritables fables qu’Ésope a écrites, car Planude nous a donné trop d’occasions de douter de sa sincérité ; et aussi parce qu’il a omis dans sa collection de nombreuses fables que des auteurs anciens ont attribuées à Ésope. Si nous pouvions être certains qu’il s’agit de l’œuvre authentique d’Ésope, nous devrions sans aucun doute admettre que nous n’avons pas d’œuvres en prose plus anciennes, sauf les livres de Moïse et quelques autres de l’Ancien Testament.

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